Legacy : Introduction.
Une plage de sable fin, les dernières lueurs du soleil couchant forment une ligne rougeâtre à l'horizon. Le vent souffle une douce brise, qui agite la mêche de cheveux devant mes yeux. J'attends.
J'entends la circulation au loin, et je vais sans doute être en retard, peut-être même rater mon avion, ce n'est pas grave, c'est sans importance. Tu as dit que tu serais là et j'ai dit que j'attendrai, alors je t'attends.
Le vent se fait plus frais, je mets mon châle sur mes épaules. J'apercois l'étoile du berger, elle précède la lune. J'ai froid, mais je t'attends. Le calme est enfin revenu, je n'entends plus rien.
Ah, un bruit de klaxon, c'est sans doute toi. Je me lève, passe les mains sur mon jeans afin d'enlever le sable, j'enfile mon sac à dos et j'accoure.
Je suis hors d'haleine quand j'arrive au niveau de la rue. Non, ce n'était pas toi, juste un taxi. J'allais pleurer lorsque j'entends ta voix, je me retourne, tu es là de l'autre côté de rue, mon sang ne fait qu'un tour, je bondis du trottoir et m'empresse de traverser.
Je ne vois pas la voiture qui arrive, elle roule vite; plus vite que je ne courre, tu cries quelque chose, j'ai mal, je tombe, j'ai mal, j'entends des cris, plein de cris, ta voix se perd dans ce chaos sonore. Mon dos me donne envie d'hurler. Je crois que je vais m'évanouir, je ne supporte plus ce bruit et tous ces visages.
On me transporte dans une ambulance, je vois les lumières rouges qui tournent sur elle-mêmes. On me parle, je ne comprends pas. Je perds conscience.
"mmmm" je gémis doucement comme une bête blessée, un son quasi-inaudible. Je tente d'ouvrir les yeux, je ne peux pas, j'ai l'impression que mon corps est en métal. J'entends des voix. Je me tais et écoute.
- "...multiples contusions, 2 côtes brisées, et un traumatisme crânien. Considérant son état de santé, son lit sera transféré dans votre service."
- "Coma prolongé ? "
- "Pas nécéssairement, les réflexes sont très bons, et des réactions nocturnes surprenantes."
- "Et au niveau familial ? Quelqu'un à prévenir en cas de réveil ?"
- "Personne. Mais ses effets personnels sont à l'administration principale si vous vous sentez d'humeur..."
Trop... d'informations... Personne...Personne...Je perds conscience.
"mmmm" je me sens mieux, j'ouvre les yeux, une douce lumière filtre à travers des persiennes. Je sens mon corps, mais il me senble plus léger. Je veux parler mais ma gorge est sèche.
Il y a quelque chose accroché à mon index, je m'en dégage non sans difficulté.
A peine quelques secondes après mon réveil, ce qui me semble une éternité, un homme se penche vers moi, me sourit avec bienveillance. L'homme parle:
- "Bonjour mademoiselle. Je suis le Docteur Thomas Frossen. Bon retour parmi nous."
Je veux parler, mais ma voix ne sort pas. Je lève la main doucement. Il me prend la main, la serre un peu.
Il prend une sorte de gobelet d'eau avec une paille et m'aide à boire en inclinant ma tête. Ma gorge jubile sous l'effet de cette sensation merveilleuse. L'eau me rend la voix.
- "Bonjour. Où suis-je ?"
- "Vous êtes dans le service Psychologique de l'hopital d'Allegra. Nous sommes le Samedi 17 Octobre, et il est 10 heures 28 du matin."
Je le dévisage longuement, les questions fusent dans ma tête mais ne dépassent pas le stade de la pensée.
- "Mademoiselle, quel est votre nom ?" me demande-t-il l'air inquiet.
- "Dina, je m'appelle Dina."
- "Et votre date de naissance ?"
- "?" je reste muette...ma date de naissance.. mais bien sûr, c'est le ...ah non, ca ne me revient pas, pourquoi je ne souviens pas de ma date de naissance...
- "Ne vous inquiétez pas, certains éléments reviendront en leur temps. Vous souvenez-vous du nom de vos parents ?"
- "Non plus" répondis-je avec une moue boudeuse.
- "Y-a-t'il des choses dont vous vous souvenez de manière précise ?"
Je marque une pause, je réfléchis de toutes mes forces, un souvenir, je veux un souvenir. Rien. Le grand vide.
Ma vie ressemble à une gigantesque page blanche.
- "Mademoiselle, vous l'aurez sans doute compris, mais vous êtes amnésique. Je ne peux vous cacher que nous ne pouvons pas vous garder éternellement mais nous ne pouvons pas non plus vous laisser partir sans informations vous concernant.
Mais maintenant que vous êtes réveillée, nous allons travailler ensemble à restaurer cette mémoire qui vous fait défaut. Vous devriez encore avoir quelques douleurs de votre accident de temps en temps, mais dans l'ensemble, vous êtes en bonne santé et si tout va bien, je signerai votre autorisation de sortir d'ici une semaine. Cela vous convient-il ? "
Il a parlé avec douceur et comme s'il pesait chaque mot.
L'accident ? C'est à peine si je m'en souviens. Sortir ? Dehors, au grand air ?
Bien sûr que je veux sortir, je ne me rappellerai peut-être pas tout, mais je veux sortir.
Le jour même, je dévore des tonnes de catalogues et magazines.
Je regarde la télévision et concentre mon attention sur les derniers évènements passés.
Je m'accroche, je parle avec les gens, je me montre sociable et je fais des merveilles en rééducation. Fin de semaine, j'obtiens mon autorisation de sortie sans problème.
Le docteur a trouvé une adresse qui m'est liée par le biais de mon compte bancaire. Je la lui demande.
Une des infirmières m'a gentillement acheté de nouveaux vêtements, et m'a coupé les cheveux avec soin.
Je sors de l'hopital, je regarde les nuages, je vais monter dans ce taxi et me rendre à cette adresse.
Si on me connaît, tant mieux, je serai de retour.
Si on ne me connaît pas, advienne que pourra.
Je m'appelle Dina, je n'ai que moi dans ce monde.
Je m'appelle Dina et j'inscrirai mon nom dans la pierre du temps.
C'est mon droit, ma légende, mon legacy.
